L'innovation est aujourd'hui dans toutes les bouches, des responsables politiques aux chefs d'entreprises, petites et grandes, en passant bien sûr par les économistes qui nous expliquent doctement que la croissance d'aujourd'hui est fortement stimulée par l'innovation, mais que celle de demain le sera encore davantage.
Certes, dans un monde dominé par la communication, les images et l'information distribuées à l'échelle de toute la planète, la nouveauté devient en soi un produit commercial. Daniel Cohen, dans son récent livre sur la société postindustrielle, explique que, dans le prix d'un produit, l'innovation en constitue beaucoup plus de la moitié si l'on additionne la gratification de l'idée originale qui a présidé à l'invention du produit et l'idée qu'on a mise en oeuvre pour le vendre. Une grande firme de cosmétiques définit le cahier des charges qu'elle donne à son département recherche: inventer une nouvelle molécule " utile" chaque année.
Bien sûr, l'innovation n'est pas nouvelle, l'humanité n'a évolué qu'à coups d'innovations, technologiques, sociologiques ou politiques.
Ce qui est nouveau, c'est qu'avec la mondialisation tout s'accélère et tout devient beaucoup plus difficile.
Tout s'accélère parce que la durée d'une innovation tend à diminuer. Une invention technique est imitée en une ou deux années (avec achats de brevets ou non, ce qui provoque d'interminables procès sur la propriété industrielle).
Et même le scoop si cher aux journalistes a une durée de vie de quelques heures avant d'être banalisé sur toute la planète.
Sommes-nous préparés à tirer notre épingle du jeu dans cette compétition économique mondiale ayant au coeur l'innovation ?
Dans le processus d'innovation, il y a trois étapes: l'émergence, l'acceptation et l'exportation de la nouvelle idée.
Il n'y a pas de doute : les Français en général se sont révélés dans l'histoire des sciences ou des idées comme capables d'innover.
En revanche, il se sont révélés extrêmement inaptes à accepter l'innovation, qu'elle soit nationale ou extérieure, et pas très efficaces dans la vente de l'innovation. Je m'en tiendrai à l'innovation scientifique et technique, que je connais mieux et qui est essentielle pour soutenir la nouvelle croissance.
Souvenons-nous qu'au début du siècle nous avons été lents à accepter l'électricité. Certains prétendaient même que les becs de gaz éclairaient mieux les rues que les ampoules électriques !
Plus près de nous, ce sont les ingénieurs français qui ont inventé le Minitel, ce qui aurait dû logiquement nous conduire à Internet. France Télécom a préféré gagner de l'argent avec le Minitel que prendre le risque d'aller de l'avant. Ce sont les firmes japonaises qui ont exploité les recherches françaises sur les cristaux liquides. Notre avance au milieu des années 90 sur les plantes génétiquement modifiées a été réduite à néant par quelques vandales sous l'oeil passif des pouvoirs publics. Peugeot a développé, avant d'autres, des voitures électriques. L'Etat aurait pu encourager le constructeur en équipant ainsi ses services publics et les parcs de bus des villes. Notre pays a préféré laisser la voie libre aux marques japonaises.
On laisse aujourd'hui les découvertes françaises en matière d'imagerie médicale être exploitées par des sociétés américaines comme on a négligé Genset, splendide start-up de biotechnologie.
Voilà même qu'au moment où tout le monde a conscience qu'il faut développer les énergies non renouvelables des communes françaises interdisent les panneaux solaires sur les toits !
Le handicap de la France, c'est l'incapacité de nos élites à comprendre que les innovations les plus importantes sont les plus surprenantes, donc les moins classiques, donc les plus dérangeantes.
Si l'on veut que cela change, il faut introduire l'innovation à haute dose dans les cursus de formation de nos élites. Ils doivent apprendre que plus que toute autre chose l'innovation est un risque intellectuel.
Aujourd'hui, seuls les Etats-Unis dispensent cet enseignement dans leurs universités. C'est pourquoi ils dominent le monde de l'innovation et ont de bonnes chances de le dominer encore longtemps ! La seule menace véritable pour eux vient de la Russie et de l'Inde, deux pays où l'innovation fait partie de la culture.
La France, elle, est intellectuellement un pays d'héritiers bien élevés, et hélas pas un pays de pionniers.
Fonte: Claude Allègre, Le Point, em 18.Abr.2007