25.2.09

USA : L'improbable réforme du bureau fédéral des brevets et des marques

Le rôle croissant des "patent trolls" dans le système d'innovation américain

Dans notre précédente livraison nous nous interrogions sur le retard accumulé par l'USPTO dans l'examen de 800.000 demandes de brevets ainsi que sur la capacité de l'organisation à se réformer. La seule USPTO n'est pas responsable d'un tel retard. Le système des brevets tel qu'il se présente actuellement aux Etats-Unis est aussi largement fautif de l'engorgement et des retards d'enregistrement que les inventeurs et l'ensemble des parties prenantes de l'innovation déplorent. Et dans le système en question se trouvent des organisations qui tirent un avantage grandissant des brevets tout en contribuant à ralentir toute réforme d'ensemble.

Ces organisations sont connues sous le nom de "NPE" (Non-Practicing Entities) par les juristes et de "patent trolls" par les experts de l'innovation. L'origine du mot est incertaine : il serait apparu dans le jargon des praticiens en 2001 après que Peter Detkin (Intel) l'eut utilisé pour la première fois dans le cadre d'une affaire interne qui voyait Intel défendre un de ses brevets. Peter Detkin se référait alors à un conte nordique dont la morale est d'accepter un arrangement rapide plutôt que le principe d'un hypothétique futur accord encore plus avantageux pour l'impétrant.



De qui et de quoi s'agit-il ?

Il s'agit d'organisations qui détiennent des brevets, souvent acquis à vil prix auprès de producteurs d'inventions ou de connaissances, et qui s'attachent à les faire valoir auprès de contrevenants potentiels ou dans le cadre d'une activité de marché. Comme l'indique leur nom, les "NPE" ne font pas d'autre utilisation du brevet que celle qui consiste à identifier des sociétés qui sont de possibles utilisateurs de brevets détenus par ailleurs. Le modèle d'affaires de ces sociétés est en général simple : acquérir des brevets après les avoir soigneusement sélectionnés puis revendiquer auprès de possibles utilisateurs une redevance, une compensation ou un dédommagement, de gré à gré ou devant les tribunaux. Moins nombreuses sont les NPE qui transforment leurs portefeuilles en fonds pour aller ensuite sur les marchés financiers.

Anecdotique il y a une quinzaine d'années, l'activité des NPE connaît un essor important aux Etats-Unis. Cette croissance est alimenté par la crise actuelle qui voit un nombre considérable de petites sociétés céder leur fonds de commerce pour traverser le retournement de conjoncture et la pénurie de financement venant des capitaux risqueurs. Et ce fonds de commerce est souvent constitué par un brevet, une licence, ou un savoir-faire déposé. La croissance de l'activité des NPE se mesure au nombre de sociétés créées dans ce domaine mais aussi, hélas, au nombre de poursuites engagées par ou contre ces sociétés. Entre 1994 et 2002, 527 affaires étaient recensées (2,7% des affaires liées à une question de propriété industrielle). Entre 2003 et 2007, nous en sommes à 1 210 affaires (8,4%). L'augmentation se poursuit au point de saturer l'appareil juridique : 389 nouvelles affaires ont vu le jour entre le 1er octobre 2007 et le 30 septembre 2008 !

Le portefeuille des 219 NPE recensées aux Etats-Unis (sans doute 1 500 si l'on inclut les filiales) s'établit à 12 500 brevets, déposés ou en instance. La plus importante de ces sociétés est "Intellectual Ventures". Elle exploite tous les segments du marché des "trolls" et possède une bonne rentabilité, ce qui attire vers elle de nombreux investisseurs. D'autres NPE comme "Acadia", "Alliacense" ou "Rembrandt Technologies" ont des modes de fonctionnement différents car elles calent leurs activités sur des portefeuilles plus petits et plus spécialisés. D'autres encore ("1st Technology", "ArrivalStar", etc.) se positionnent dans le registre légèrement différent, celui qui consiste à faire appliquer le droit des brevets exploités indûment mais sans les acquérir. Parmi les NPE on compte aussi des individus qui font valoir leurs propres brevets pour en tirer une rente. Il y a aussi les NPE qui agissent de façon "furtive" ("stealth mode") en attendant la maturité d'une technologie ou d'un produit pour revendiquer avec davantage de certitudes d'énormes compensations. Dans le petit monde des NPE, les entrées et les sorties sont aussi passablement nombreuses, d'où la difficulté d'établir un état des lieux précis.

L'activité de "Intellectual Ventures" retient cependant particulièrement l'attention, surtout en ces temps de difficultés financières. "Intellectual Ventures" vient par exemple de lever plus de 1,5 milliard grâce à son nouveau fonds. Il a aussi rendu publics deux accords d'un montant unitaire de 200 à 400 millions (le chiffre exact reste confidentiel) avec Cisco Systems et Verizon après avoir négocié des cessions avec Nokia, Sony, eBay, Google, Microsoft, Intel et Nvidia. "Intellectual Ventures" auraient plus de 1.000 projets d'accords en cours de discussion et avoue acquérir des brevets ou des familles de brevets au rythme de 2 par jour [2]. "Intellectual Ventures" occupe une position dominante aux Etats-Unis et embrasse un champ d'activités qui n'a, à ce jour, aucun équivalent dans le monde.

Les détracteurs des NPE plaident pour une réforme du système des brevets en arguant du fait que les "trolls" inhibent l'innovation en rendant stérile la plupart des brevets détenus mais non exploités. Pour les industries qui ont une activité de R&D, le reproche est le même car les NPE érigent des barrières à l'entrée. Les NPE contribuent en effet à s'approprier, sous forme de brevets, le produit de développements technologiques (le "D") qui coûtent en général 10 à 20 fois plus cher que la recherche (le "R"). D'une façon générale, les NPE sont vues par ses opposants comme des sociétés d'extorsion ("patent extortionist") qui tirent profit des producteurs de connaissances et du système national des brevets.

De leur côté, les NPE défendent leur rôle dans le système national de l'innovation. Elles affirment que ce sont elles qui fixent le véritable prix des brevets tout en fournissant des liquidités aux inventeurs. Elles défendent aussi l'idée qu'elles alimentent la jurisprudence du droit des brevets et contribuent à faire en sorte que l'USPTO réalise un meilleur travail d'analyse et d'investigation des demandes qui lui sont soumises (d'où la pression qui pèse sur cette dernière et les retards qu'elle accumule). Au total, les NPE plaident pour un maintien du système actuel.

Plusieurs pistes sont actuellement identifiées pour sortir de l'impasse. La réforme de l'USPTO en est une mais ne constitue qu'un volet du problème. Une autre est juridique qui tend à s'imposer d'elle-même. Ainsi, une jurisprudence limitant les recours se développe même si ces derniers continuent de coûter des fortunes (la simple instruction des grandes affaires dépasse les 5 millions) : la Cour Suprême a par exemple en 2006 supprimé la notion d'injonction automatique pour la remplacer par une autre qui oblige le plaignant à faire la preuve de la recevabilité de la demande. D'autres pratiques jurisprudentielles comme "les dommages proportionnels" favorisent aussi l'émergence d'un encadrement des recours.

Mais là encore, la solution au problème n'est que partielle. D'où l'idée de créer un marché du brevet, monétaire ou électronique, qui aurait pour caractéristique la transparence et l'accès général à l'information. Comme le projet de réforme de l'USPTO, remis d'année en année depuis 1966, on peut légitimement se poser la question de la réalisation d'un tel nouveau marché, non seulement en raison de la conjoncture mais aussi en raison de l'économie du système des brevets aux Etats-Unis.

Source : http://www.invention-europe.com/Article347450.htm / http://www.bulletins-electroniques.com/

11.2.09

Les petites sociétés innovantes déplorent l'abandon des pouvoirs publics


Fut un temps où le gouvernement regardait les start-up, ces jeunes sociétés technologiques innovantes, avec les yeux de Chimène. Cette époque serait révolue. Désormais, ce sont les "gazelles", c'est-à-dire les entreprises de taille moyenne en forte croissance, qu'elles soient ou non innovantes, qui sont choyées. Un nouveau sigle a d'ailleurs fait son apparition dans les statistiques : ETI, pour "entreprises de taille intermédiaire". Les aides publiques aux PME leur sont désormais prioritairement destinées.

Avant cette inflexion stratégique, les start-up sélectionnées par Oseo Innovation (ex-Anvar) bénéficiaient d'avances remboursables de la part de cet établissement financier public. Ce financement leur était nécessaire car d'une part, les banquiers privés trouvent trop risqué de prêter des fonds à ce type de sociétés ; et parce que d'autre part les business angels, des personnes privées investissant au capital de firmes naissantes, ne sont pas encore légion en France.

En 2007, Oseo Innovation avait ainsi un budget d'intervention de 365 millions d'euros consacré au financement des jeunes pousses. En 2008, ce budget s'est accru à 470 millions d'euros. En 2009, la part de ce budget consacré aux interventions classiques, c'est-à-dire aux avances remboursables pour les start-up, plonge de plus de 60 %, pour ne plus atteindre que 270 millions d'euros.

L'essentiel du budget global d'intervention d'Oseo Innovation (qui s'élève au total à 430 millions d'euros) est désormais destiné à financer des projets de recherche de grands groupes et d'ETI (dont certains avaient été sélectionnés par l'Agence de l'innovation industrielle, aujourd'hui disparue). Oseo Innovation devait également distribuer les subventions aux entreprises des pôles de compétitivité, à partir du 1er janvier 2009, mais cette décision a été repoussée.

Or, dans certaines régions, en Ile-de-France en particulier, les caisses d'Oseo Innovation seraient vides depuis le mois de juillet 2008 pour les start-up. "Le problème est particulièrement aigu dans les régions où se trouvent beaucoup de sociétés de haute technologie", précise Olivier Ezratty, consultant en innovation, business angels, et auteur d'un blog sur l'innovation.

FAIRE DU CHIFFRE

Certes le crédit impôt recherche, qui permet aux sociétés de déduire une partie de leurs budgets de recherche et développement (R & D) de leur impôt, bénéficient, aussi, aux start-up. Certes, la possibilité de déduire tout investissement dans des PME de l'impôt sur la fortune a stimulé les vocations de business angels. Mais, la crise a réduit leurs portefeuilles boursiers et donc la part que ces personnes fortunées consacreront aux PME en 2009. "Dans deux ans, quand l'économie redémarrera, la France souffrira d'un trou démographique de start-up", redoute M. Ezratty.

Les équipes d'Oseo Innovation en sont convaincues. Leurs dirigeants n'ont plus la main sur le personnel distribuant les aides en région. Celui-ci est rattaché à Joël Darnaud, un professionnel de la banque qui applique les méthodes de ce secteur. La distribution d'aides rapporte une prime à celui qui l'octroie. Ce qui incite à faire du chiffre, sans forcément s'attacher à la qualité du dossier, au caractère réellement innovant des produits et services dont il est censé financer l'élaboration.

source: http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/02/10/les-petites-societes-innovantes-deplorent-l-abandon-des-pouvoirs-publics_1153295_1101386.html