Avec la crise, les entreprises ne cessent pas nécessairement d'innover, mais elles le font différemment. Pour se protéger, et de façon plus offensive, pour assurer leur avenir.
Dans le contexte de la mondialisation, les entreprises des pays développés avaient bien pris conscience qu'elles étaient plus que jamais condamnées à innover pour survivre. Le nouveau défi que constitue pour elles la crise économique va-t-elle les conduire à sacrifier les budgets consacrés à la R&D et à l'innovation ? Telle n'est pas, semble-t-il, la tendance générale, selon une enquête publiée récemment par le Boston Consulting Group. Ce document montre que si 14 % des dirigeants d'entreprise interrogés ont effectivement prévu de réduire leurs budgets de R&D-Innovation en 2009, ils sont encore 64 % à en faire une de leurs trois premières priorités. Et 58 % d'entre eux ont même prévu de les accroître. Ce qui ressort surtout, c'est que les entreprises n'ont pas l'intention de dépenser ces sommes de la même façon. La nature de l'innovation et la manière d'innover évoluent. D'après les analyses du BCG, les entreprises vont en effet privilégier l'innovation permettant soit de réduire les coûts de production, soit d'augmenter les ventes de façon immédiate.
Réduire les coûts
Ainsi, 73 % des entreprises interrogées ont répondu que l'innovation orientée « réduction de coûts » était importante (contre 64 % en 2008). « L'anticipation de l'évolution des besoins des clients liée à la baisse de leurs revenus conduit naturellement à rechercher une baisse des coûts pour tenter de préserver la rentabilité », observe Olivier Tardy, directeur associé senior au BCG Paris. « La recherche d'une meilleure adéquation à un contexte de «trading down», c'est-à-dire où les consommateurs cherchent à acheter les meilleures fonctionnalités au meilleur prix, n'est pas nouvelle dans les pays développés, mais la crise l'accélère fortement » poursuit-il.
Procter & Gamble, par exemple, a repensé les caractéristiques techniques et le conditionnement de certains de ses produits. Pour la ligne de papiers essuie-tout « Bounty Basic », le groupe a préservé les attributs clefs, comme la solidité, au détriment d'attributs secondaires comme le pouvoir absorbant renforcé. Pour la lessive Tide, il a aussi réduit la taille des paquets et leur prix unitaire, et repensé leur production. Nokia, pour sa part, offre un bon exemple d'innovation destinée à augmenter les ventes de façon immédiate (lire ci-dessous).
Mais, comme le montre aussi l'enquête du BCG, les leaders de l'innovation ne s'efforcent pas seulement de se protéger de la crise, ils essayent d'en tirer parti pour dépasser leurs concurrents. Deux stratégies illustrent cette attitude plus offensive : investir davantage dans la R&D-Innovation dans les pays en développement rapide, ou faire appel à l'innovation externe, éventuellement en exploitant la faiblesse des concurrents, pour leur racheter des technologies clefs, des brevets cruciaux, voire débaucher certains personnels hautement qualifiés, très importants pour l'innovation.
Concernant la première stratégie, on observe effectivement un déplacement de l'effort de R&D des grands groupes internationaux vers les pays à croissance rapide, où les challengers locaux ne sont d'ailleurs pas en reste, conscients eux aussi que l'innovation est une clef de leur développement.
Les raisons qui poussent les groupes tant internationaux que locaux à investir là, plutôt que dans les pays développés sont multiples. Il s'agit bien sûr d'accéder à des ressources plus disponibles et moins coûteuses. On trouve en effet en Chine ou en Inde par exemple de plus en plus de chercheurs bien formés, et dont la rémunération reste malgré tout cinq à huit fois inférieure à ce qu'elle est dans les pays riches. Mais c'est aussi la possibilité de développer de nouvelles approches plus économes en matière de coûts qui est attrayante.
Innovation externe
En dépit des difficultés traversées ces temps-ci par le groupe Tata, « développer un véhicule automobile tel que la Nano, pour moins de 1.500 euros, est plus facile à faire avec une équipe d'ingénierie indienne que dans les bureaux d'études d'un constructeur traditionnel aux Etats-Unis ou en Europe », explique Arindam Bhattacharya, directeur associé au BCG à New Delhi. Mener une activité d'innovation dans un pays en développement rapide permet enfin de mieux comprendre les besoins locaux. L'histoire de Goodbaby, groupe chinois spécialiste des produits et services pour enfants, devenu non seulement numéro un sur son marché, mais aussi numéro un du porte-bébé aux Etats-Unis, est à ce titre exemplaire, comme le raconte James Hemerling, qui a dirigé le bureau de BCG à Shanghai. Créé au début des années 1990 par un ancien instituteur, inventeur d'une poussette transformable en siège auto, alors que chaque yuan comptait pour la majorité de ses concitoyens, le groupe n'a cessé de grandir jusqu'à réaliser plusieurs centaines de millions de dollars de chiffre d'affaires. Au coeur de cette réussite, une démarche d'innovation particulièrement attentive aux besoins des clients peu fortunés que sont encore la grande masse des Chinois, mais aussi les habitants des pays riches, bousculés par la crise et en quête de produits au plus juste prix.
Faire appel à l'innovation externe est une autre stratégie offensive. C'est celle qu'a adoptée le groupe pharmaceutique Bristol Myers Squibb, qui s'est engagé dans une série d'acquisitions liées, d'accords de licences et de partenariats avec des sociétés de biotechnologies, comparables à un « collier de perles » selon son président James Cornelius. Toute la difficulté étant de préserver, voire de renforcer et de faire diffuser ce qui a motivé l'acquisition, à savoir sa capacité à générer des innovations.
« La crise économique ne signe donc pas la fin de l'innovation, souligne Olivier Tardy. Elle la rend même plus nécessaire que jamais pour y survivre et assurer l'avenir à long terme des entreprises. »
source :
http://www.lesechos.fr/info/metiers/4869305-innover-en-temps-de-crise-c-est-possible.htm